Interpréter et évaluer l’importance des asynchronies patient-ventilateur en ventilation mécanique non invasive (VNI) est une tâche extrêmement difficile. Certaines expériences publiées dans la littérature suggèrent que certains asynchrones détectés en pratique clinique sont directement induits par le ventilateur, les muscles répondant à des stimuli mécaniques. Par exemple, le phénomène connu sous le nom de « reverse triggering « 1 a été décrit chez des patients adultes profondément sédatés recevant une ventilation invasive et pourrait être une nouvelle forme de couplage neuro-mécanique diaphragmatique, induite par un réflexe médié par l’adaptation des récepteurs d’étirement pendant l’inspiration (réflexe de Hering-Breuer). Ce phénomène n’a été décrit que chez des patients sédatés recevant une ventilation invasive, et à ce jour aucun cas de réponse musculaire à des stimuli mécaniques n’a été décrit chez des patients recevant une NIMV.
Nous rapportons le cas d’une femme de 62 ans atteinte de sclérose latérale amyotrophique, avec une atteinte prédominante des neurones supérieurs et une hyperréflexie importante. Le NIMV a été indiqué en raison d’une capacité vitale forcée inférieure à 50% de la valeur prédite, d’une légère hypercapnie (PaCO2 46mmHg) et d’une intolérance naissante à la position de décubitus. La titration a commencé avec une interface nasale et une jugulaire pendant des périodes de 1 à 2 heures pendant des jours consécutifs avec un ventilateur à pression Lumis® 150 (ResMed, North Ryde, Australie). Les paramètres à la fin de la première session étaient les suivants : IPAP 18cmH2O, EPAP 5cmH2O, temps de montée 150ms, Timin 0,6s et Timax 1,5s, paramètres de déclenchement et de cycle aux valeurs moyennes. La fuite involontaire a été maintenue à des valeurs acceptables après la mise en place d’une jugulaire (moins de 10l/min au total), et la fréquence respiratoire était d’environ 18-20bpm. Lors du suivi en temps réel des courbes pression-temps et débit-temps, une déflexion a été observée au début de l’expiration de l’onde débit-temps, malgré une bonne tolérance initiale (Fig. 1A).
Capture d’écran obtenue pendant l’adaptation de la ventilation. (A) La déviation mentionnée dans le texte peut être observée (flèche) et (B) résolution après réglage d’une rampe de décélération de 250ms.
Comme la déviation se produisait au début de l’expiration, avec un effort persistant pendant cette phase (asynchronie cycliste prématurée2), le réglage du cyclisme a été modifié, prolongeant le temps de montée à 250ms (afin de retarder le débit maximal, et donc le cyclisme), et un Timin de 0,8 a été superposé, mais l’anomalie a persisté. Enfin, alors que les valeurs précédentes du temps de montée ont été maintenues sans superposer le critère de temps, la rampe de décélération a été modifiée de l’inspiration à l’expiration, et a été fixée à 250ms, avec une résolution ultérieure du trouble (Fig. 1B).
L’anomalie n’a pu être résolue qu’en modifiant le temps de descente chez ce patient présentant une hyperréflexie marquée, ce qui suggère que l’altération visible des courbes débit-temps pourrait être due à une réponse automatique du système respiratoire du patient. Cette situation est similaire à celle décrite par Akoumianaki et al1, bien que ces auteurs aient décrit le phénomène chez des patients sous sédation et relaxation. Au lieu d’être un réflexe d’expansion thoracique, la réponse semble plutôt associée à un réflexe de déflation qui reste relativement constant d’un cycle à l’autre.
Les modèles de ventilateurs n’enregistrent pas tous la décélération. A ce jour, son utilisation en pratique clinique n’a pas été rapportée dans la littérature, bien que, théoriquement du moins, elle devrait améliorer la tolérance à l’inversion soudaine du flux qui se produit lors de la transition entre l’inspiration et l’expiration. La plupart du temps, cette inversion de flux, qui peut atteindre 80lx′, ne produit aucun symptôme, mais certains patients peuvent signaler une gêne. Chez notre patient, l’inversion de flux semblait déclencher une réponse respiratoire automatique, intensifiée par une hyperréflexie généralisée concomitante. La sclérose latérale amyotrophique peut se présenter sous différentes formes, non seulement en termes de topographie musculaire, mais aussi dans le degré de spasticité et d’hyperréflexie. Ainsi, l’atteinte prédominante des motoneurones inférieurs produit une faiblesse et une atrophie, tandis que l’atteinte des motoneurones supérieurs produit une hypertonie et une hyperréflexie essentiellement spastique qui peut toucher n’importe quel groupe musculaire. Conformément aux constatations faites d’abord sur des modèles animaux, puis sur des patients3, le diaphragme de notre patient peut avoir été activé par le dégonflement en présence d’un nerf vagal intact. Cette anomalie peut également être observée sur la spirométrie lors de manœuvres expiratoires forcées, lorsque la toux est induite par une expiration maximale (réflexe de Fontana).4
En conclusion, l’asynchronisme patient-ventilateur observé chez notre patient ne semble pas être le même que les cas précédemment décrits dans la littérature, puisqu’il ne répond pas aux caractéristiques du cyclage prématuré (il n’est pas modifié par l’allongement du temps inspiratoire ou des réglages du cycle) ou du déclenchement inverse (le cycle précédant l’asynchronisme n’est pas contrôlé). Pour cette raison, l’activation diaphragmatique pendant la transition vers l’expiration peut être une interprétation plausible qui expliquerait la persistance de l’asynchronisme et son amélioration avec la dépressurisation progressive.