À la rédaction:
La question contre-intuitive du lien entre l’hyperoxémie et l’augmentation de la mortalité a été fréquemment soulevée au cours des 10 dernières années. L’essai contrôlé randomisé d’Austin et de ses collègues en 2010 a été la première étude à démontrer un excès de mortalité lors d’une courte exposition à l’utilisation libérale d’oxygène chez des patients souffrant d’insuffisance respiratoire aiguë (1). Les résultats de la méta-analyse récemment publiée par Chu et ses collègues, qui comprenait 16 037 patients issus de 25 études contrôlées randomisées, étaient convaincants. Les auteurs ont montré une augmentation de la mortalité chez les patients souffrant d’une maladie aiguë lorsque l’oxygène était administré de manière libérale (saturation en oxygène mesurée par oxymétrie de pouls >94-96%) (2). Dans cette méta-analyse, une relation dose-effet a été trouvée pour la toxicité de l’oxygène (2). Bien que la toxicité de l’hyperoxémie sévère dans l’USI soit bien établie (3), l’impact de l’hyperoxémie modérée n’est pas clair.
Dans une étude récente publiée dans le Journal, Palmer et ses collègues ont montré que même une hyperoxémie modérée (définie comme PaO2 >100 mm Hg) était associée à une augmentation de la mortalité chez les patients de l’USI (4). Il est intéressant de noter que 77,5 % et 90,6 % des patients inclus dans cette étude ont été exposés à l’hyperoxémie après 1 et 7 jours dans l’USI, respectivement. Les auteurs n’ont pas pu trouver de relation dose-effet pour l’oxygène et la mortalité, mais ils ont trouvé une relation entre la durée d’exposition à l’hyperoxémie et la mortalité. Cependant, dans la population évaluée dans l’étude de Palmer et de ses collègues (4), la plage de la PaO2 n’était pas claire, car aucune donnée sur les valeurs moyennes, médianes ou interquartiles de la PaO2 n’était fournie. Si l’intervalle des valeurs de PaO2 est trop étroit, aucune relation dose-effet ne peut être établie. En effet, il est possible que dans les centres du Royaume-Uni, les valeurs de PaO2 très élevées soient rares parce que les praticiens britanniques sont particulièrement conscients de la toxicité potentielle de l’oxygène. On ne sait pas non plus si le paramètre utilisé pour définir l’hyperoxémie (« dose d’hyperoxémie ») était optimal. Helmerhorst et ses collègues ont démontré que la définition de l’hyperoxémie (première PaO2, pire valeur, moyenne, aire sous la courbe, pendant 24 h ou pendant tout le séjour en soins intensifs) influençait beaucoup l’impact sur le résultat (3). L’étude de Helmerhorst et de ses collègues a fourni des données convaincantes selon lesquelles une exposition modérée (PaO2 moyenne entre 120 et 200 mm Hg chez 15 % des patients) et sévère à l’hyperoxémie (PaO2 moyenne >200 mm Hg chez 1 % des patients) était associée à une mortalité accrue chez les patients en soins intensifs (3). Dans l’étude de Helmerhorst, des relations dose-réponse et temps-réponse ont été démontrées entre l’hyperoxémie et les résultats (durée de la ventilation mécanique ainsi que la mortalité en soins intensifs et à l’hôpital).
Paracelse a écrit en 1538, « Tout est poison, et rien n’est sans poison, seule la dose fait le poison » (5). La relation dose et temps pour la toxicité de l’oxygène n’est pas surprenante, étant donné la physiologie de la toxicité de l’oxygène médiée par les métabolites toxiques de l’oxygène, les espèces réactives de l’oxygène ou les radicaux libres.
La production d’espèces réactives de l’oxygène dépend de la dose. Grâce à différents mécanismes de protection contre les radicaux libres, notamment les antioxydants enzymatiques (superoxyde dismutase, catalase et glutathion peroxydase) et non enzymatiques (vitamines A, C, E, etc.), les effets des radicaux libres peuvent être réduits. « Notre corps tout entier est une machine antioxydante » adaptée à une augmentation progressive de la concentration d’oxygène atmosphérique (au cours de 4 milliards d’années) jusqu’à 40% au cours de l’ère paléozoïque. L’Homo sapiens a vécu au cours des 300 000 dernières années en respirant une atmosphère dont la concentration en oxygène était de 21 % (6). Seuls les Homo sapiens qui se promènent dans les hôpitaux sont exposés à l’oxygène pur et à l’hyperoxémie, ce qui entraîne une augmentation des radicaux libres ayant des effets systémiques (lésions cellulaires et de l’ADN, vasoconstriction microvasculaire, lésions pulmonaires, etc.) Continuer à négliger la toxicité de l’oxygène n’est peut-être pas éthique, compte tenu de la quantité de données disponibles. Il est temps pour les hôpitaux d’atteindre enfin les objectifs de l’oxygénothérapie et de fournir la bonne dose d’oxygène pour traiter l’hypoxémie, éviter l’hyperoxémie et sevrer les patients de l’oxygène.