Nous avons le droit de mourir dans la dignité. La profession médicale a le devoir d’aider

L’euthanasie représente l’une des plus anciennes questions de l’éthique médicale. Elle est interdite dans le serment original d’Hippocrate, et la plupart des traditions religieuses s’y sont constamment opposées depuis l’Antiquité – à l’exception, d’ailleurs, de l’avortement, qui n’a été formellement interdit par l’Église catholique que depuis le milieu du XIXe siècle.

L’euthanasie est un vaste sujet aux multiples dimensions. Je me limiterai dans cet article à la question de la mort assistée, qui me semble être l’une des questions les plus pressantes de notre époque.

Desmond Tutu, archevêque émérite du Cap, l’a de nouveau soulevée le jour de son 85e anniversaire dans un article du Washington Post. Il a écrit :

Je me suis préparé à ma mort et j’ai clairement fait savoir que je ne souhaitais pas être maintenu en vie à tout prix. J’espère que l’on me traitera avec compassion et que l’on me permettra de passer à la prochaine phase du voyage de la vie de la manière de mon choix.

L’aide à la mort peut prendre la forme d’un suicide assisté par un médecin (PAS). Dans ce cas, un patient souffrant et en phase terminale est aidé par un médecin pour avoir accès à une substance létale que le patient prend ou administre lui-même. S’il est incapable de le faire, le médecin – à la demande du patient – administre la substance létale qui met fin à la vie du patient.

Cette dernière procédure est également appelée « euthanasie active volontaire » (EAV). Je n’aborderai pas la question de l’euthanasie involontaire -où l’on met fin à la vie du patient souffrant sans son consentement explicite- une procédure qui, à mon sens, est éthiquement beaucoup plus problématique.

Forme passive de l’euthanasie

L’expression « euthanasie active volontaire » suggère qu’il existe aussi une forme passive d’euthanasie. Elle est passive en ce sens que rien n’est fait « activement » pour tuer le patient, mais que rien n’est fait non plus pour dissuader le processus de mort, et que l’arrêt du maintien en vie qui est clairement futile, est autorisé.

Cependant, la signification morale de la distinction entre l’euthanasie « active » et « passive » est de plus en plus remise en question par les éthiciens. La raison en est simplement la crédibilité de l’argument selon lequel l’administration d’un agent létal est « active », mais que mettre fin au maintien de la vie (par exemple éteindre un ventilateur) est « passif ». Les deux sont clairement des actions observables et descriptibles, et les deux sont les causes directes du décès du patient.

L’opposition au suicide assisté par un médecin ou à l’euthanasie active volontaire s’explique par un certain nombre de raisons. La valeur accordée à la vie humaine dans toutes les traditions religieuses et dans presque toutes les cultures, comme l’interdiction du meurtre, est tellement omniprésente qu’elle est un élément du droit commun, et non du droit écrit.

Les objections de la profession médicale à être considérée ou utilisée comme des « tueurs » plutôt que des sauveurs de vie humaine, ainsi que la crainte parfois fondée d’un abus possible du suicide assisté par un médecin ou de l’euthanasie active volontaire, constituent une autre raison. Les principales victimes de ces abus éventuels pourraient bien être les membres les plus vulnérables et les plus démunis de la société : les pauvres, les handicapés, etc. Ceux qui ne peuvent pas payer un hébergement prolongé dans des établissements de soins de santé coûteux et des unités de soins intensifs.

Mort dans la dignité

Pour soutenir le suicide assisté par un médecin ou l’euthanasie active volontaire, on avance souvent l’argument que, comme les gens ont le droit de vivre dans la dignité, ils ont aussi le droit de mourir dans la dignité. Certaines conditions médicales sont tout simplement si douloureuses et inutilement prolongées que la capacité de la profession médicale à soulager la souffrance au moyen de soins palliatifs est dépassée.

La souffrance terminale intraitable prive les victimes de la plupart de leur dignité. En outre, la science et la pratique médicales sont actuellement capables d’une prolongation sans précédent de la vie humaine. Il peut s’agir d’une prolongation qui se traduit trop souvent par une prolongation concomitante de souffrances inutiles et vaines.

Une pression énorme est exercée à la fois sur les familles et sur le système de soins de santé pour qu’ils consacrent du temps et des ressources très coûteuses à des patients qui ont peu ou pas de chance de guérison et sont irrémédiablement destinés à mourir. Il n’est, selon l’argument, ni inhumain ni irrévérencieux d’aider ces patients – en particulier s’ils le demandent clairement et à plusieurs reprises – à mettre fin à leur vie.

Je suis personnellement beaucoup plus favorable aux positions pro-PAS et pro-VAE, bien que les arguments contre soulèvent des questions qui doivent être abordées. La plupart de ces questions (par exemple le danger d’exploitation de patients vulnérables), je crois, peuvent être traitées de manière satisfaisante par la réglementation.

Argument en faveur du suicide assisté

L’argument le plus convaincant en faveur du suicide assisté par un médecin ou de l’euthanasie active volontaire est l’argument en faveur du suicide dans une démocratie. Le droit de se suicider est, en ce qui me concerne, simplement l’un des prix que nous devons être prêts à payer en tant que citoyens d’une démocratie.

Nous n’avons pas le droit, et nous ne jouons aucun rôle perceptible, de venir à l’existence. Mais nous avons le droit de décider combien de temps nous restons dans l’existence.Le fait que nous ayons le droit de nous suicider, ne signifie pas qu’il est toujours (moralement) juste d’exécuter ce droit.

Il est difficile de nier le droit d’une personne de 85 ans atteinte d’un cancer du pancréas en phase terminale et n’ayant presque plus de famille et d’amis, de se suicider ou de demander une mort assistée. Dans ce cas, il ou elle a le droit et sera dans son droit s’il ou elle exerce ce droit.

Comparez cela avec la situation d’un homme de 40 ans, mari et père de trois jeunes enfants, qui a détourné des fonds de l’entreprise et doit maintenant faire face à la musique au tribunal. Lui aussi a le droit de se suicider. Mais, à mon avis, il ne serait pas moralement correct pour lui de le faire, étant donné les conséquences désastreuses pour sa famille. Avoir un droit, n’implique pas qu’il soit toujours bon d’exécuter ce droit.

Mon argument en faveur du suicide assisté par un médecin ou de l’euthanasie active volontaire est donc fondé sur le droit au suicide, qui me semble fondamental dans une démocratie.

Prenons le cas d’une personne compétente qui est malade en phase terminale, qui va mourir dans les six prochains mois et qui n’a aucune perspective de soulagement ou de guérison. Cette personne souffre de manière intolérable et/ou intraitable, souvent en raison d’une dépendance irréversible au maintien de la vie. Ce patient demande de manière répétée, disons au moins deux fois par semaine, qu’il soit mis fin à sa vie. Je suis convaincu qu’effectuer un suicide assisté par un médecin ou une euthanasie active volontaire dans cette situation est non seulement la voie humaine et respectueuse, mais aussi la voie moralement justifiée.

La tâche principale de la profession médicale n’est pas de prolonger la vie ou de promouvoir la santé, mais de soulager la souffrance. Nous avons le droit de mourir avec dignité, et la profession médicale a le devoir d’aider à cet égard.

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