Le soleil se lève aussi

Les événements clés de la formation du caractère de Jake se produisent bien avant le début de l’action du roman. En tant que soldat de la Première Guerre mondiale, Jake est blessé. Bien qu’il ne le dise pas directement, à de nombreux moments du roman, il laisse entendre que, suite à sa blessure, il a perdu la capacité d’avoir des relations sexuelles. La narration de Jake est caractérisée par la subtilité et l’implication. Il préfère faire des allusions aux choses plutôt que de les dire carrément, surtout lorsqu’elles concernent la guerre ou sa blessure. Au début du roman, par exemple, il faut lire le texte de très près pour saisir la véritable nature de la blessure de Jake ; ce n’est que plus tard, lorsque Jake va pêcher avec Bill, qu’il parle plus ouvertement de son impuissance.

La maladie physique de Jake a des conséquences psychologiques profondes.Il semble assez peu sûr de sa masculinité. Le fait que Brett, l’amour de sa vie, refuse d’entrer dans une relation avec lui complique ce problème. Jake, avec la subtilité qui le caractérise, laisse entendre qu’elle ne veut pas le faire parce que cela signifierait renoncer aux rapports sexuels.L’hostilité de Jake à l’égard de Robert Cohn trouve peut-être son origine dans son propre sentiment d’inadéquation. À bien des égards, Jake est un membre typique de ce que la poétesse Gertrude Stein appelait la « génération perdue », la génération d’hommes et de femmes dont l’expérience de la Première Guerre mondiale a sapé leur foi en la justice, la moralité, la virilité et l’amour. Sans ces idéaux sur lesquels s’appuyer, la génération perdue a vécu une existence sans but, immorale, dépourvue de véritables émotions et caractérisée par une cruauté interpersonnelle occasionnelle. Une partie du personnage de Jake représente la génération perdue et sa situation malheureuse : il erre dans Paris, allant de bar en bar et buvant beaucoup dans chacun d’eux, sa vie étant remplie de débauche sans but. Il fait preuve d’une extrême cruauté, notamment envers Cohn. Ses insécurités quant à sa masculinité sont typiques des angoisses que ressentaient de nombreux membres de la génération perdue.

Pour autant, sur certains points importants, Jake diffère de ceux qui l’entourent. Il semble conscient de l’inutilité du mode de vie de la génération perdue. Il dit à Cohn au chapitre II : « On ne peut pas s’éloigner de soi-même en passant d’un endroit à l’autre ». De plus, il reconnaît la cruauté fréquente du comportement de ses amis et de lui-même, et surtout, il admet, ne serait-ce qu’indirectement, la douleur que lui causent sa blessure de guerre et son amour non réciproque pour Brett. Cependant, bien que Jake perçoive les problèmes de sa vie, il ne semble pas vouloir ou pouvoir y remédier. Bien qu’il comprenne le dilemme de la génération perdue, il en reste prisonnier.

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