La Déclaration d’Helsinki et la santé publique

John R Williams a

Déterminer la relation optimale entre la santé publique et la santé individuelle est un défi éthique majeur pour les systèmes et les prestataires de santé. En théorie, il ne devrait pas y avoir de conflit entre les deux – le public est constitué d’individus et la santé publique peut être considérée comme la somme de la santé de tous ces individus. Cependant, la situation n’est pas aussi simple. Des conflits existent – sur des questions telles que le financement, le traitement, les devoirs, les droits et les préférences.

L’objet de cet article est le conflit entre la santé individuelle et la santé publique dans l’éthique de la recherche sur les humains. Je m’appuierai sur la Déclaration d’Helsinki (DoH) de l’Association médicale mondiale (AMM) pour démontrer que, si le souci de l’individu a prédominé sur les besoins de la santé publique depuis la Seconde Guerre mondiale, on observe depuis quelques années un certain mouvement vers le redressement de ce déséquilibre.

La DoH a été adoptée pour la première fois lors de l’Assemblée générale de l’AMM à Helsinki en 1964. Son objectif était de fournir des conseils aux médecins engagés dans la recherche clinique et son point central était les responsabilités des chercheurs en matière de protection des sujets de recherche. Le progrès de la science médicale et la promotion de la santé publique, bien que reconnus comme des objectifs importants de la recherche médicale, étaient clairement subordonnés au bien-être des sujets de recherche individuels.

Les raisons de cet accent mis sur la protection des sujets de recherche ne sont pas difficiles à discerner. La DoH, comme son prédécesseur bien connu, le Code de Nuremberg, avait pour but d’empêcher les mauvais traitements des sujets de recherche tels qu’ils avaient été pratiqués par les médecins nazis. En l’absence de contraintes externes telles que des cadres juridiques et des comités d’éthique de la recherche, il confiait la responsabilité de protéger les sujets de recherche aux chercheurs médicaux, qui étaient à l’époque principalement des médecins. Elle s’est fortement inspirée de l’éthique médicale traditionnelle, résumée dans des documents tels que la Déclaration de Genève de l’AMM qui exige du médecin que : « La santé de mon patient sera ma première considération. « 1

Par rapport au Code de Nuremberg, cependant, la DoH de 1964 représentait un changement subtil dans l’équilibre entre les responsabilités du chercheur envers les participants individuels à la recherche et « l’avancement des connaissances scientifiques et l’aide à l’humanité souffrante », c’est-à-dire pour la santé publique. Ce changement est particulièrement évident dans l’obligation d’obtenir le consentement éclairé des participants. Cette exigence était absolue dans le Code de Nuremberg mais a été assouplie dans la DoH pour permettre la recherche sur les enfants, notamment pour les vaccins, et sur les populations incompétentes ou « captives », telles que les prisonniers et le personnel militaire.2 Pourtant, la DoH de 1964 se composait principalement de restrictions à la recherche médicale destinées à sauvegarder les intérêts des participants individuels.

La première révision de la DoH a été adoptée en 1975. Dans le sillage des révélations selon lesquelles de graves abus de l’éthique de la recherche étaient relativement courants, l’AMM a rendu explicite ce qui n’avait été qu’implicite dans la version de 1964, à savoir que « Dans la recherche sur l’homme, l’intérêt de la science et de la société ne devrait jamais prendre le pas sur les considérations liées au bien-être du sujet » (paragraphe III. 4, version 1975). Aussi importants que soient les besoins de la santé publique, ils ne doivent pas l’emporter sur les droits des individus qui participent à la recherche médicale. Comme il est apparu que l’on ne pouvait pas faire confiance à certains chercheurs pour protéger les participants à la recherche, de nouvelles exigences ont été ajoutées à la DoH, notamment l’examen préalable des projets par un comité indépendant et l’adhésion aux principes de la DoH comme condition de publication des résultats de la recherche.

Des modifications mineures de la DoH ont été adoptées en 1983, 1989 et 1996.3 Elles n’ont pas modifié la prédominance des intérêts du sujet de recherche individuel sur ceux de la société. En revanche, la version qui a été adoptée lors de l’Assemblée générale de l’AMM en 2000 représentait une révision et une expansion majeures du document. Bien que l’accent sur la primauté de l’individu ait été maintenu, les amendements suivants indiquent une prise de conscience accrue des besoins de la santé publique : la version 2000 a supprimé la distinction entre la recherche « thérapeutique » et « non thérapeutique » qui était la marque de fabrique du DoH depuis 1964. Cette distinction partait du principe qu’une grande partie de la recherche médicale est thérapeutique, c’est-à-dire qu’elle est destinée à bénéficier au sujet de la recherche : « Le médecin ne peut associer la recherche médicale aux soins professionnels, l’objectif étant l’acquisition de nouvelles connaissances médicales, que dans la mesure où la recherche médicale est justifiée par sa valeur diagnostique ou thérapeutique potentielle pour le patient » (paragraphe II. 6, version 1996). En revanche, l’objectif de la recherche dans la version 2000 est l’avancement des connaissances pour le bénéfice des futurs patients ; les essais cliniques en double aveugle démontrent clairement cet objectif et ses limites pour les besoins de santé des sujets de la recherche.La version 2000 a introduit un concept entièrement nouveau – la responsabilité des chercheurs et des sponsors de fournir des avantages aux populations : La version 2000 a introduit un concept entièrement nouveau, à savoir la responsabilité des chercheurs et des promoteurs de fournir des avantages aux populations : « La recherche médicale n’est justifiée que s’il existe une probabilité raisonnable que les populations dans lesquelles la recherche est menée bénéficient des résultats de la recherche » (paragraphe 19). En mai 2007, le Conseil de l’AMM a autorisé une nouvelle révision de la DoH.4 Un appel à suggestions d’amendements a été largement diffusé en 2007 ; les réponses ont été rassemblées et présentées au Comité d’éthique médicale de l’AMM en octobre 2007. Suite à cette réunion, un groupe de travail a préparé une série d’amendements et les a distribués pour commentaires. Un projet révisé a été examiné par le Comité d’éthique médicale en mai 2008 et une autre consultation a eu lieu pendant l’été. Les recommandations finales du groupe de travail seront examinées lors de l’Assemblée Générale de l’AMM en 2008.

Bien qu’il appartienne à l’Assemblée Générale de décider des changements éventuels à apporter à la DoH, les projets d’amendements du groupe de travail suggèrent une poursuite de la tendance, notée dans la version 2000, vers une plus grande préoccupation pour la santé publique, comme suit : une mention spécifique est faite de la recherche épidémiologique, qui par nature vise à améliorer la santé publique et les systèmes de santé plutôt que la santé des sujets de recherche individuels.Un autre amendement proposé demande un accès approprié à la participation à la recherche pour les populations qui ont été précédemment sous-représentées, comme les enfants et les femmes enceintes.La déclaration sur les risques et les charges est élargie pour inclure leur application aux communautés ainsi qu’aux individus impliqués dans la recherche.Cependant, l’énoncé selon lequel « les considérations liées au bien-être du sujet humain devraient primer sur les intérêts de la science et de la société » reste essentiellement inchangé.

Commentaire

D’autres articles de ce numéro du Bulletin débattent de la question de savoir si les exigences de la santé publique l’emportent parfois sur les droits de l’individu. Très peu d’intervenants donneraient une réponse catégorique à cette question, qu’elle soit affirmative ou négative. Cependant, il existe un clivage notable entre les cliniciens, qui considèrent que leur devoir premier est envers leurs patients individuels, et les responsables de la santé publique, qui donnent la priorité aux besoins de la communauté plutôt qu’à ceux des individus.5 Ce clivage peut-il être comblé ou reflète-t-il simplement la question plus large, sans réponse, et peut-être même sans réponse, de la relation entre les droits individuels et collectifs qui tourmente les autorités publiques partout dans le monde ?

Une façon de s’assurer que cette question ne sera pas résolue est de développer une éthique de la santé publique indépendamment de l’éthique traditionnelle des soins de santé qui se concentre sur l’individu. Les objectifs légitimes des interventions de santé publique ne devraient pas simplement supplanter les besoins et les désirs des individus et les devoirs correspondants des praticiens de la santé pour répondre à ces besoins et à ces désirs. Une telle approche serait à la fois inutilement conflictuelle et contre-productive.

Une autre approche consiste à ce que l’éthique de la santé publique s’appuie sur la longue expérience et la vaste littérature de l’éthique traditionnelle des soins de santé tout en reconnaissant que cette éthique traditionnelle évolue vers une plus grande préoccupation pour les besoins de santé des populations. Un exemple de cette évolution est la révision en 2006 du Code international d’éthique médicale de l’AMM1, dans lequel les phrases suivantes ont été ajoutées : « Un médecin doit s’efforcer d’utiliser les ressources de soins de santé de la meilleure façon possible au bénéfice des patients et de leur communauté », et « Il est éthique de divulguer des informations confidentielles lorsque le patient y consent ou lorsqu’il existe une menace réelle et imminente de préjudice pour le patient ou pour d’autres personnes et que cette menace ne peut être écartée que par une rupture de la confidentialité ». Au fur et à mesure que l’éthique de la santé publique se développe, elle doit faire preuve d’une ouverture similaire aux droits légitimes des individus.

Une telle ouverture devrait être une caractéristique de l’éthique de la recherche en santé publique, quelque chose qui a grandement besoin d’être développé. La version 2000 de la DoH a été sévèrement critiquée par certains défenseurs de la santé publique pour ses restrictions sur la recherche médicale,6 mais au moins une partie de cette critique semble être basée sur un rejet de l’éthique (en faveur du commerce) plutôt que sur une éthique alternative de la recherche en santé publique. Cette dernière a un champ d’application énorme, dans les domaines de l’épidémiologie, de la recherche sur les systèmes de santé, de la préparation aux catastrophes et des secours, etc. mais elle doit être cohérente avec l’éthique traditionnelle des soins de santé et ne pas la négliger. Ce n’est qu’à cette condition qu’elle pourra atteindre son objectif d’amélioration des soins de santé pour tous les membres du public. ■

Intérêts concurrents : John R Williams coordonne la révision actuelle (2007-2008) de la déclaration d’Helsinki pour l’AMM.

Affiliations

  • Université d’Ottawa, Ottawa, ON, Canada.

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