Introduction
L’arthrite juvénile idiopathique (AJI) englobe toutes les arthrites d’origine inconnue chez les individus de moins de 16 ans qui durent plus de 6 semaines.1 Dans toutes les sous-catégories d’AJI, le traitement local par l’infiltration intra-articulaire de corticoïdes (IAC) fait partie de la gestion thérapeutique normale2. L’AJI oligoarticulaire est le type qui affecte 4 articulations ou moins au cours des 6 premiers mois d’évolution de la maladie, et elle peut parfois être traitée exclusivement par l’IAC.2 Bien que l’IAC soit pratiquée très fréquemment dans le traitement de l’AJI, les opinions varient largement en ce qui concerne l’utilisation d’anesthésiques généraux ou locaux, la technique d’infiltration, le guidage par ultrasons de la procédure ou le corticoïde qui devrait être utilisé.3,4 Les différents âges des patients et les différentes localisations signifient qu’il serait compliqué de standardiser la procédure d’IAC chez les enfants. Cette revue narrative de la littérature résume les différents aspects des procédures de CAI dans le traitement de l’AJI.
Technique d’infiltration
Bien que la technique d’infiltration n’ait pas été complètement établie, elle est régie par les mêmes recommandations que celles qui s’appliquent aux adultes, et celles-ci sont résumées dans le tableau 1. La littérature contient un grand nombre d’études monocentriques qui décrivent leur expérience dans la réalisation de la CAI,5-9 bien qu’il n’y ait pas de guides ou de recommandations sur la façon de le faire. La CAI est une situation dans laquelle les enfants ressentent du stress et de la nervosité, il est donc positif de créer une atmosphère détendue avant de réaliser la procédure.3 La CAI doit être réalisée avec une asepsie exquise et dans le temps le plus court possible. Il est important d’utiliser des gants stériles et de nettoyer la zone de ponction avec un antiseptique topique. Il est recommandé d’extraire le plus de liquide possible de l’articulation avant d’infiltrer le corticoïde. L’aiguille doit être nettoyée dans du sérum physiologique pour éviter l’atrophie sous-cutanée.10 Comme chez l’adulte, il est également recommandé de mettre au repos l’articulation non soutenue pendant 24 à 48h pour éviter une arthrite secondaire au corticoïde introduit, même si cela est très rare10.
Recommandations générales pour l’administration des infiltrations intra-articulaires dans la population pédiatrique.
Infiltrer une ou deux articulations par procédure
Reinfiltrer après au moins 2 à 4 semaines, si nécessaire
Ne pas infiltrer la même articulation plus de 3-4 fois par an
Assepsie minutieuse pendant la procédure
Utiliser un anesthésique local topique ou sous-cutané
Utiliser une anesthésie générale ou un sédatif conscient générale ou une sédation consciente si nécessaire
Rester l’articulation pendant 24-48h après l’intervention
Anesthésie
Il est recommandé d’utiliser une anesthésie locale dans toutes les procédures IAC11, avec de la lidocaïne en pommade (Emla®) ou sous-cutanée, du chlorethyl en spray ou une ionophorèse avec de la lidocaïne, selon ce qui est disponible. Il y a plus de preuves pour l’utilisation d’anesthésiques locaux ou de sédation consciente que pour d’autres aspects de la CAI.11-16 Uziel et al. ont comparé l’efficacité d’une application préalable d’Emla® dans la réduction de la douleur rapportée par les enfants atteints d’AJI pendant la CAI du genou.12 Cet essai clinique randomisé en double aveugle n’a montré aucune différence significative entre les patients qui ont utilisé Emla® et ceux qui ne l’ont pas fait, bien que l’Emla® soit très largement utilisé comme anesthésique local.11 Il est recommandé de l’appliquer 60min avant l’intervention à l’aide d’un pansement occlusif, donnant lieu à une anesthésie dans les 3-5mm supérieurs de la peau.11 Néanmoins, dans la pratique clinique, il est parfois difficile de respecter le temps minimum pendant lequel la pommade Emla® doit être appliquée. L’iontophorèse de lidocaïne produit une anesthésie dans un peu plus des 8 mm supérieurs de la peau après une application de 20 minutes10. Cependant, cette technique n’est pas disponible dans la majorité des hôpitaux. Il est probable que la restriction de l’effet d’Emla® au niveau superficiel de la peau soit la raison de l’absence de différences dans la douleur pendant la CAI constatée par Uziel et al. dans leur essai clinique.12
L’utilisation d’anesthésiques locaux est largement acceptée en rhumatologie pédiatrique,13 et une combinaison d’un anesthésique local topique avec de la lidocaïne sous-cutanée peut être bénéfique chez certains patients.14 Weiss et al. ont entrepris une étude observationnelle comparant l’utilisation d’un anesthésique local (Emla® ou lidocaïne iontophorèse) avec la lidocaïne sous-cutanée.14 Ils ont comparé la douleur à 3 moments de la procédure : avant l’application de l’anesthésique local, après son application et juste avant l’infiltration, et enfin après le CAI. Ils n’ont trouvé aucune différence dans la douleur rapportée entre les patients qui avaient reçu de la lidocaïne sous-cutanée ainsi qu’un anesthésique local et ceux qui n’avaient reçu qu’un anesthésique local. L’exception à cette règle était la douleur post-CAI chez les filles, qui était moindre lorsque les méthodes d’anesthésie locale étaient combinées.14
En ce qui concerne l’anesthésie générale ou la sédation consciente, bien que certains auteurs proposent qu’elle soit obligatoire dans toutes les procédures,15 elle est plus largement acceptée dans des situations spécifiques.13 Les situations dans lesquelles il est recommandé d’utiliser un certain type de sédation consciente (protoxyde d’azote, propofol, midazolam ou fentanil11) sont : les patients de moins de 6 ans, lorsqu’il est nécessaire d’infiltrer 3 articulations ou plus, ou dans des endroits compliqués ou de petite taille (l’articulation coxo-fémorale ou le subastragalus, par exemple).13 D’autre part, lorsque les parents et les enfants ont été interrogés sur leur préférence dans l’utilisation de la sédation, leurs opinions différaient de manière significative.16 Alors que les jeunes enfants préféraient la sédation, les parents préféraient éviter les risques que cela implique. Néanmoins, lorsque les enfants sont plus âgés ou ont la maladie depuis plus longtemps, une plus grande proportion d’entre eux préfèrent éviter la sédation.16
Guidage par échographie
L’échographie est une technique d’imagerie idéale pour évaluer la population pédiatrique, et elle permet de guider l’aiguille pendant la CAI.7-9 Le guidage par échographie dans la CAI s’est avéré plus précis et plus efficace chez les adultes.17 Cependant, dans la population pédiatrique, il n’y a pas suffisamment de preuves scientifiques pour recommander l’utilisation du guidage par échographie dans toutes les procédures de CAI.7-Il existe de nombreuses descriptions de son utilisation dans différents hôpitaux, mais elles ne comparent pas l’efficacité des procédures réalisées avec ou sans guidage par échographie.20-22 Dans les articulations petites ou compliquées comme la hanche, en raison de sa profondeur et de la proximité du faisceau vasculo-nerveux, il est recommandé que le guidage par échographie soit utilisé par un expert.18 L’exception à cette recommandation se situe au niveau de l’articulation temporomandibulaire (ATM).19 Resnick et al. ont comparé l’amélioration de la gestion de la douleur et de l’ouverture de la bouche entre les patients qui avaient reçu une CAI de l’ATM avec et sans guidage par échographie. Ils ont constaté que la seule différence entre les deux groupes était le temps pris par la procédure, qui durait 49min de plus dans le groupe avec guidage par échographie.19
Indications
Tous les patients atteints d’AJI peuvent être traités en utilisant la CAI ou la CA péritendineuse comme procédure unique ou complémentaire.2 La forme oligo-articulaire peut entrer en rémission après une ou plusieurs infiltrations. Une revue systématique récente a trouvé que les CAI ont un effet bénéfique.20
L’utilisation d’un traitement systémique avec du méthotrexate dans l’AJI oligo-articulaire est controversée, et il n’est pas commencé de manière routinière, surtout chez les patients avec monoarthrite.23 Récemment, l’étude ouverte, longitudinale et multicentrique de Ravelli et al. a montré que l’ajout de méthotrexate au traitement des patients atteints d’AJI oligo-articulaire après CAI de 2 articulations ou plus peut légèrement augmenter l’effet des infiltrations.24 Néanmoins, la question de savoir si les enfants atteints d’AJI oligo-articulaire bénéficient ou non de l’instauration d’un traitement au méthotrexate n’a pas encore trouvé de réponse.24
La dysmétrie est l’une des complications les plus fréquentes que nous pouvons rencontrer chez les patients atteints d’AJI, en particulier ceux qui présentent la forme oligo-articulaire et la synovite asymétrique. L’hyperémie qui produit l’inflammation entraîne une plus grande croissance du membre affecté et cela provoque à son tour un problème biomécanique qui peut donner lieu à des complications à l’âge adulte. La CAI prévient ou réduit la gravité de la discordance articulaire.25 Une étude classique de 1999 qui a comparé des patients atteints d’AJI suivis dans un hôpital où la CAI était réalisée dans le cadre du traitement de la synovite du genou avec des patients d’un autre hôpital où la CAI n’était pas utilisée, a montré que la discordance articulaire était significativement plus importante dans le second groupe de patients25.
Infiltration de plusieurs articulations
Bien qu’il n’y ait pas de limite au nombre d’articulations pouvant nécessiter une infiltration, un effet systémique est inévitable lorsque de nombreuses articulations sont infiltrées.10 L’efficacité des infiltrations multiples (3 articulations ou plus par procédure) a été évaluée dans des études monocentriques descriptives26,27. En 2013, Papadopoulou et al. ont publié une étude observationnelle rétrospective dans laquelle une rémission articulaire après des IAC multiples a été observée chez un tiers des patients inclus, avec un suivi moyen de 11 mois, par opposition aux deux tiers des patients qui ont présenté une nouvelle rechute articulaire après l’IAC dans un délai moyen de 6 mois.Ces résultats ne sont pas très favorables à la réalisation en routine d’IAC multiples27. D’autre part, l’efficacité des infiltrations multiples n’a pas été comparée à l’utilisation de cycles courts de corticoïdes systémiques, et on pourrait se demander si les deux stratégies ont un niveau d’efficacité similaire, évitant ainsi une procédure invasive telle que les infiltrations multiples.
Ces procédures multiples nécessitent une anesthésie générale ou au moins une sédation consciente, et elles nécessitent une durée de séance plus longue, elles ne sont donc pas recommandées en pratique courante. Selon les auteurs, le nombre maximum recommandable de CAI par séance est de 3 articulations.
Articulations temporomandibulaires
Les ATM sont souvent affectées par l’AJI et elles doivent être examinées chez tous les patients, quelle que soit la sous-catégorie. La CAI de l’ATM est une procédure relativement fréquente qui améliore la douleur et l’ouverture de la bouche.19,28-30 L’amélioration est plus importante chez les patients dont l’évolution de l’arthrite est plus courte.29 Chez les patients présentant des altérations morphologiques et une évolution plus longue, il n’y a pratiquement aucune amélioration fonctionnelle et le soulagement de la douleur est temporaire.30 L’effet indésirable le plus courant de la CAI à cet endroit est l’atrophie sous-cutanée, car il s’agit d’une articulation superficielle. Elle est recommandée comme traitement complémentaire et, comme il a été souligné plus haut, bien que le guidage par ultrasons n’augmente pas son efficacité, il implique un temps plus long pour la procédure.19
Type de corticoïde
Le type de corticoïde à administrer dépend de la taille de l’articulation : Le tableau 2 indique la dose et le corticoïde recommandés pour chaque articulation. C’est ici que les preuves scientifiques sont les plus solides, et que les recommandations sont les plus largement acceptées. L’efficacité de la CAI est plus durable lorsque l’hexacétonide de triamcinolone est utilisé plutôt que des corticoïdes plus solubles tels que la bétamétasone.31 Le premier subit également une diffusion systémique moindre et provoque moins d’altération des taux de cortisol et de glucose.32 En ce qui concerne la triamcinolone, l’hexacétonide s’est avéré plus puissant que l’acétonide dans des études longitudinales et rétrospectives.32-D’autre part, bien qu’il ait été prouvé que l’hexacétonide a un effet anti-inflammatoire double de celui de l’acétonide, l’utilisation d’une double dose d’acétonide de triamcinolone n’apporte pas un bénéfice plus important que la dose habituelle d’hexacétonide de triamcinolone33. L’étude de Zulian et al. a inclus des patients atteints d’AJI et de synovite symétrique (la majorité dans les genoux) ; une articulation a été infiltrée avec la dose standard d’hexacétonide et l’autre a reçu une infiltration de la double dose d’acétonide. Une plus grande proportion des articulations infiltrées avec l’hexacétonide est entrée en rémission, et ce, pour une plus longue période33. Les effets indésirables, principalement l’atrophie sous-cutanée et l’hypopigmentation, sont plus fréquents avec les corticoïdes dépotés, de sorte que ceux-ci ne sont pas recommandés pour les articulations petites ou superficielles, où il est plus approprié d’utiliser des corticoïdes solubles (bétaméthasone ou méthylprednisolone).
Type de corticoïde et dose recommandée pour chaque articulation.
Type de corticoïde | Dose | |
---|---|---|
Grandes articulations (épaule, hanche ou genou) | Triamcinolone hexacétonide | 1mg/kg (maximum 40mg)a |
Articulations de taille moyenne (coude, carpe et cheville) | Triamcinolone hexacétonide | 0.75mg/kg (maximum 30mg)a |
Petites articulations (métacarpe et articulations des doigts) | Méthylprednisolone | 5-10mga |
Articulations spéciales (subastragalus ou gaines tendineuses) | Méthylprednisolone | 20-40mga |
La dose dépendra de l’âge et de la taille de chaque patient.
Conclusions
Les CAI sont des procédures très courantes dans le traitement de l’AJI, en particulier dans la sous-catégorie oligo-articulaire, conjointement avec un traitement systémique ou seul. Il est fortement recommandé d’utiliser une anesthésie locale avant ou pendant la procédure, et d’évaluer l’utilisation de la sédation consciente dans des situations spécifiques. Bien que le guidage par ultrasons ne soit pas recommandé en routine, il peut être utile dans des mains expertes pour prévenir les complications de la procédure. En général, les grandes articulations bénéficient davantage de l’administration d’hexacétonide de triamcinolone, tandis que les corticoïdes plus solubles (bétaméthasone ou méthylprednisolone)sont préférables pour les petites articulations ou les articulations superficielles.
Conflit d’intérêts
Les auteurs n’ont aucun conflit d’intérêts à déclarer.