Harriet Martineau (1802-1876)

Par Riva Berleant

Harriet Martineau

Biographie

Le sentiment qu’avait Harriet Martineau de sa propre vie remarquable l’a amenée à la raconter et à faire en sorte que cette autobiographie soit publiée après sa mort en 1876. Martineau est née d’une ascendance huguenote à Norwich, en Angleterre, en 1802. Son père était fabricant, et la famille de sa mère était, ironiquement, raffineuse de sucre. Les Martineau, unitariens progressistes, veillaient à ce que tous leurs enfants, garçons et filles, reçoivent une éducation de qualité et égale. (Martineau 1877 : 1-21). À l’âge de quinze ans, Martineau était, selon ses propres mots,  » en train de devenir une économiste politique sans le savoir  » (55). Elle avait déjà lu Thomas Malthus et avait commencé à penser sérieusement en termes sociologiques et politiques. Elle était, en fait, parmi les premiers sociologues, bien que peu reconnue dans les histoires standard de cette discipline.

A l’âge de seize ans, elle a dû faire face à une surdité croissante, qu’elle décrit comme  » très sensible, très incommode et excessivement douloureuse « . Elle a appris à gérer son handicap de manière à pouvoir assimiler ce dont elle avait besoin de manière discrète (55-7).

Après la mort de son père en 1825, Martineau a subvenu à ses besoins en écrivant, principalement du journalisme populaire avec un casting d’économie politique. Ses premiers succès furent ses Illustrations d’économie politique (1832-1934). Il s’agit de vingt-quatre histoires qui illustrent pour un public populaire les idées de Thomas Malthus, James Mill, David Ricardo et Adam Smith. Elles paraissaient sous forme de fascicules mensuels et se vendaient à l’époque plus d’exemplaires que les romans de Charles Dickens. Elle gagna suffisamment pour pouvoir déménager à Londres en 1832 (Hoecker-Drysdale 1992:34).

Les Illustrations comprennent ses premières attaques contre l’esclavage, ainsi que des articles anti-esclavagistes publiés dans le Monthly Repository, une revue critique unitarienne. Elle a construit ses arguments sur deux bases, l’immoralité de l’esclavage et son inefficacité économique. Le quatrième récit des Illustrations,  » Demerara « , expose les souffrances humaines intenses qui résultent de systèmes esclavagistes irrationnels qui gaspillent à la fois le capital et la main-d’œuvre (Martineau 1832-34, vol. 1 : 142-143).

Entre 1834 et 1836, Martineau voyage à travers les États-Unis. Elle se fait des amis durables parmi les transcendantalistes et les factions anti-esclavagistes de Boston. Admiration et controverse la suivent partout. Society in America (1837), comme l’ouvrage plus connu d’Alexis DeToqueville, décrit et interprète de nombreux traits du comportement, des institutions et de la vie quotidienne en Amérique du Nord. Anticipant Max Weber, Martineau soutient que les valeurs morales sous-tendent les institutions sociales. Aux États-Unis, l’institution de l’esclavage se moquait des idéaux américains de liberté (219). Dans le chapitre « Morales de l’esclavage », elle reprend et détruit, un par un, les arguments en faveur de l’esclavage qui étaient promus aux États-Unis, et se demande si « les vertus sociales sont possibles dans une société dont l’injustice est la caractéristique première ». Son mode critique était l’ironie plutôt que l’indignation. À propos des esclavagistes, par exemple, elle écrivait : « Je ne pouvais que m’émerveiller de leur douce tolérance face aux provocations qu’ils subissent d’heure en heure dans leurs maisons : leurs chambres sales, leurs biens gaspillés, leurs plans frustrés, leurs enfants négligés, eux-mêmes trompés par des artifices » (220-21). Leur seule vertu était la tolérance, car « l’injustice inhérente au système éteint toutes les autres, et nourrit toute une moisson de fausses moralités envers le reste de la société » (223). Dans un langage clair et dur, extraordinaire pour son époque, elle décrit la dégradation sexuelle des femmes, esclaves ou libres, les dommages causés à tous les enfants, la déformation de la conscience et du comportement, et une société fonctionnant sur l’hypocrisie, la suspicion et la restriction de la liberté (223-237). Même la Nouvelle-Angleterre n’échappe pas à sa critique explosive lorsqu’elle décrit ce que les gens de couleur libres y endurent (122-124).

En 1839, Martineau tomba chroniquement malade et, en 1855, elle était confinée à la maison. L’esclavage britannique et l’apprentissage avaient pris fin, mais Martineau n’a pas laissé l’invalidité entraver son combat pour mettre fin à l’esclavage aux États-Unis. En 1857, par exemple, elle écrivit que malgré « de nombreux problèmes corporels, je gagne beaucoup d’argent pour les abolitionnistes américains en faisant des travaux de fantaisie » (Sanders 1990:151). Sa « dernière pièce de broderie a rapporté 100 dollars pour « la cause » en Amérique » (141).

Elle a continué ses écrits anti-esclavagistes jusqu’à la guerre de Sécession en tant que correspondante anglaise de l’American Anti-Slavery Standard (Sanders 1990:205). Elle a poursuivi ses recherches sociales et économiques, base d’un flux continu d’articles anti-esclavagistes. Comme toujours, ses principes moraux imprègnent ses écrits, qui révèlent une observatrice et une critique aiguë de la politique de l’esclavage et de l’antiesclavagisme aux États-Unis. Comme son contemporain, Joseph Sturge, elle voyait les liens entre l’esclavage dans les colonies et l’oppression de la classe ouvrière chez elle, même si elle avait des objections et des accords avec les Chartistes britanniques (Martineau 1877, vol. 1:1). Elle aussi, comme Sturge, était favorable à une émancipation immédiate plutôt que graduelle. Elle a rejeté la philosophie économique du laissez-faire de sa jeunesse et a fortement encouragé l’action gouvernementale pour mettre fin à l’esclavage des chattes, à l’esclavage salarié et à l’oppression de classe (Fladeland 1982:73-74).

Les écrits importants de Martineau comprennent, en plus de ceux déjà décrits, son Retrospect of Western Travel, un autre livre sur les États-Unis (1838), un roman, Deerbrook (1839), et un compte rendu de l’histoire et de la pratique du judaïsme, du christianisme et de l’islam, Eastern Life Present and Past (1848). Son journalisme, toujours pointu, accessible, intelligent et socialement conscient, interprétait la politique et la société de son temps pour un large public. En 1831, elle a rejeté l’unitarisme, aussi libéral soit-il, en faveur de la libre pensée (1877, vol. 1:119-121). En 1853, elle publie une traduction abrégée du Cours de Philosophie Positive d’Auguste Comte (1877, vol. 2:57-58 ; 1853). Elle a embrassé avec enthousiasme la science positive comme le fondement d’une nouvelle moralité (Hoecker-Drysdale 1992:110-11). Sa propre vie illustre le féminisme qui imprègne toute son œuvre, quel qu’en soit le sujet (David 1987:46). Harriet Martineau était extraordinaire à la fois comme femme victorienne et comme écrivain abolitionniste influent.

Texte © Riva Berleant, 2004

Gravure de Harriet Martineau par Evert A. Duykinck tirée de A Portrait Gallery of Eminent Men and Women of Europe and America, with Biographies, 2 vols (New York : Johnson, Wilson and Company, 1873). Image reproduite avec l’aimable autorisation de The James Smith Noel Collection

Bibliographie

Ouvrages choisis

  • Deerbrook, 3 vol. (Londres : Edward Moxon, 1839).
  • La vie orientale : Present and Past, 3 vol. (Londres : Edward Moxon, 1848)
  • Autobiographie de Harriet Martineau, 2 vol., ed Maria Weston Chapman (Boston : James R. Osgood & Co, 1877)
  • Illustrations de l’économie politique, 9 vol. (Londres : Charles Fox, 1832-34)
  • L’âge des martyrs des États-Unis (Boston : Weeks, Jordan, 1839)
  • La philosophie positive d’Auguste Comte, 2 vol : Chapman 1853)
  • Retrospect of Western Travel, 3 vol. (Londres : Saunders and Otley, 1838)
  • Society in America, 3 vol. (Londres : Saunders and Otley, 1837), rpr. ed Seymour Martin Lipset, (Garden City : Doubleday Anchor Books, 1961)
  • Harriet Martineau : Writings on Slavery and the American Civil War ed Deborah Anna Logan (DeKalb, IL : Northern Illinois University Press, 2002)
  • Les œuvres complètes de Martineau sont actuellement disponibles chez Pickering and Chatto, sous la direction générale de Deborah Logan. Pour plus d’informations, visitez la page Martineau de Pickering

Ouvrages secondaires choisis

  • David, Deirdre, Intellectual Women and Victorian Patriarchy, (Ithaca : Cornell University Press, 1987)
  • Fladeland, Betty, ‘ »Our Cause Being One and the Same » : Abolitionists and Chartism’, in Slavery and British Society, 1776-1846, ed James Walvin (Baton Rouge : Louisiana State University Press, 1982), pp. 69-99
  • Hoecker-Drysdale, Susan, Harriet Martineau : First Woman Sociologist (New York : Berg, 1992)
  • Pichanick, Valerie Kossew, Harriet Martineau : the Woman and Her Work, 1802-76 (Ann Arbor : University of Michigan Press, 1980)
  • Romano, Mary Ann, ed, Lost Sociologists Rediscovered (Lampeter : Edwin Mellon Press, 2002)
  • Sanders, Valerie, Harriet Martineau : Selected Letters (Oxford : Clarendon Press, 1990)

Liens

  • The Martineau Society
    ‘L’objet de la société sera de favoriser la collecte, la préservation, l’étude et la publication dans l’intérêt public de matériel relatif à la famille Martineau de Norwich au 19ème siècle et aux principes de liberté de conscience défendus par Harriet Martineau et son frère, le Dr James Martineau. »
  • Harriet Martineau
    Entrée dans The Dictionary of Unitarian and Universalist Biography, une ressource hébergée par l’Église unitarienne.

La contributrice

Riva Berleant Ph.D., est professeur d’anthropologie (émérite) au département d’anthropologie de l’Université du Connecticut. Elle a publié plusieurs livres et articles relatifs aux plantations, à l’esclavage, à la région des Caraïbes et à la missionnalisation.

Courriel : [email protected]

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