Oral et entéral
La fonction intestinale est significativement altérée dans les maladies critiques, en particulier chez les patients souffrant de traumatismes, de brûlures ou de sepsis, et cela peut affecter l’absorption des médicaments et des nutriments.80 Les altérations de la physiologie gastro-intestinale observées chez de nombreux patients gravement malades sont le résultat de nombreux facteurs complexes et en interaction, y compris une diminution du flux sanguin muqueux (c’est-à-dire, l’hypoperfusion splanchnique), l’insuffisance de l’apport luminal en nutriments, les altérations de l’immunité de la muqueuse et les modifications des médiateurs neuronaux, hormonaux et inflammatoires.81
Les patients gravement malades présentent souvent des diminutions de la sécrétion d’acide gastrique induites par la pharmacologie ou la maladie.82 Une augmentation du pH gastrique peut diminuer l’absorption des bases faibles (par exemple, kétoconazole, itraconazole) et modifier les caractéristiques de libération des formulations à enrobage entérique (par exemple, inhibiteurs de la pompe à protons, mésalamine). Le retard de la vidange gastrique, qui se produit chez 60 % des patients sous ventilation mécanique et chez 80 % des patients victimes d’un traumatisme crânien, peut diminuer l’absorption des médicaments83 . Si le médicament ne s’est pas vidé dans l’intestin grêle au moment où l’aspiration nasogastrique est rétablie, le médicament est éliminé de l’organisme et n’est pas absorbé. Les patients qui sont hémodynamiquement instables, en particulier ceux qui reçoivent un traitement vasopresseur, sont susceptibles de présenter une hypoperfusion splanchnique et une perméabilité intestinale altérée. En raison des nombreuses altérations structurelles et physiologiques du tractus gastro-intestinal de ces patients, le traitement médicamenteux IV doit être employé dans la mesure du possible, car l’absorption des médicaments est susceptible d’être altérée11.
La thérapie séquentielle IV-orale est de plus en plus encouragée dans l’unité de soins intensifs car elle facilite une sortie d’hôpital plus précoce, peut entraîner moins d’événements médicamenteux indésirables liés à l’administration et peut réduire les coûts des soins de santé.84 Les médicaments dont la biodisponibilité élevée a été prouvée chez les patients en bonne santé (par exemple, les antibiotiques fluoroquinolones, le fluconazole et les inhibiteurs de la pompe à protons) sont idéalement adaptés à la thérapie séquentielle. Les nombreuses modifications physiologiques et des organes terminaux observées chez les patients gravement malades empêchent toutefois l’extrapolation des données des études pharmacocinétiques qui ont évalué la biodisponibilité orale chez les volontaires sains aux patients gravement malades.6
Il existe une pénurie d’études de haute qualité évaluant la biodisponibilité par sonde nasogastrique chez les patients gravement malades pour les médicaments qui présentent une biodisponibilité orale élevée chez les patients sains. Une étude prospective, randomisée, à dose unique, bidirectionnelle et croisée menée auprès de 16 patients gravement malades (score APACHE II de 16) a révélé que la gatifloxacine administrée par sonde gastrique ne donne pas systématiquement une biodisponibilité élevée, la biodisponibilité absolue étant inférieure à 70 % chez 3 patients.85 Les implications cliniques de cette étude et d’autres peuvent être explorées en évaluant l’impact de cette variabilité pharmacocinétique sur les variables pharmacodynamiques établies. En supposant que la CMI de la gatifloxacine est inférieure à 1 μg/mL pour la plupart des organismes, les valeurs de l’AUIC de la gatifloxacine qui ont été observées chez certains patients après administration gastrique étaient de 20 μg/mL/h. La valeur AUIC résultante de 20 est bien inférieure au point de rupture AUIC généralement accepté de 125 qui a été établi pour le traitement des organismes gram-négatifs.86 Des recherches supplémentaires sont nécessaires pour identifier les patients gravement malades qui sont prédisposés à une biodisponibilité réduite après une administration gastrique et pour lesquels une augmentation empirique de la posologie devrait être envisagée.
L’administration de médicaments par la sonde gastrique nécessite qu’un comprimé soit écrasé, dissous et administré à l’aide d’une seringue orale par la sonde nasogastrique, orogastrique ou gastronomique. Ces étapes d’administration supplémentaires augmentent le risque de laisser des résidus de médicament dans le réceptacle dans lequel le comprimé a été écrasé et reconstitué, dans la seringue utilisée pour l’administration ou dans la sonde gastrique elle-même.87 Il a été démontré que la biodisponibilité de plusieurs médicaments (par exemple, la phénytoïne, la ciprofloxacine) diminue de 80 % lorsqu’ils sont administrés en même temps que des formulations de nutrition entérale.88,89 Le mécanisme de cette diminution de la biodisponibilité varie selon le médicament. La diminution de l’absorption de la phénytoïne est attribuable à l’augmentation du transit gastro-intestinal induite par la nutrition entérale, alors que la ciprofloxacine se lie directement aux cations de la formulation entérale. On ne sait pas pourquoi les études évaluant l’administration concomitante d’autres produits à base de fluoroquinolones (par exemple, gatifloxacine, lévofloxacine) avec des nutriments entéraux n’ont pas montré cette même interaction.85 Pour résoudre ce problème, la nutrition entérale peut être suspendue pendant 1 à 2 heures avant et après chaque dose. Les aliments peuvent altérer l’absorption des inhibiteurs de la pompe à protons, et le fabricant de l’oméprazole à libération immédiate en suspension bicarbonatée recommande de suspendre l’alimentation entérale gastrique continue pendant 1 heure avant et 3 heures après l’administration de chaque dose par une sonde nasogastrique. Lorsque les alimentations entérales sont suspendues pour l’administration d’un médicament, les cliniciens doivent ajuster le débit de l’alimentation par sonde afin que la totalité de la prescription quotidienne de nutrition entérale soit délivrée.