RAPPORT DE CAS
Un Vietnamien de 62 ans a été admis dans notre hôpital en janvier 2001 en raison d’une endocardite présumée. Il vivait en France depuis 1952 et travaillait comme vétérinaire. Il avait pour antécédents une cholécystectomie, une gastrectomie pour ulcère gastrique hémorragique en 1965, une brucellose traitée par tétracycline en 1967 et une polyglobulie. Le patient n’a pas signalé de séjour hospitalier de plus d’un jour (pour une phlébotomie thérapeutique) depuis 1965. Il n’avait pas de valves cardiaques endommagées auparavant. Il n’a reçu aucun traitement antimicrobien au cours des mois précédant son hospitalisation, mais dans les premiers jours de janvier, il a été traité avec de la roxithromycine (150 mg deux fois par jour) et des corticostéroïdes pour un diagnostic présumé de pneumonie. Le 14 janvier 2001, il a été admis dans un hôpital local en raison d’une insuffisance cardiaque et d’une fièvre persistante. La combinaison amoxicilline-acide clavulanique (1 g trois fois par jour) a été ajoutée au régime. Le 17 janvier, l’échocardiographie transthoracique a démontré la présence de végétations mitrales et aortiques. L’amoxicilline-acide clavulanique et la roxithromycine ont été remplacées par le céfotaxime (2 g t.i.d.) et la gentamicine (100 mg b.i.d.) pour une endocardite vraisemblablement infectieuse. Le troisième jour du régime céfotaxime-gentamicine, le patient a eu besoin d’une ventilation mécanique en raison d’une insuffisance cardiaque et a été admis dans notre hôpital. L’échocardiographie transoesophagienne a montré une volumineuse végétation aortique avec destruction valvulaire, prolapsus et régurgitation aortique. Il y avait également deux végétations mitrales avec régurgitation mitrale. Une espèce d’Enterococcus ayant été isolée dans deux hémocultures, le céfotaxime a été remplacé par la vancomycine (1 g deux fois par jour). Le patient a subi un remplacement des valves mitrale et aortique le 23 janvier.
Selon la méthode de diffusion sur disque (27), la souche a d’abord été signalée comme sensible à l’ampicilline, l’érythromycine, la vancomycine, la téicoplanine, le triméthoprime-sulfaméthoxazole et la rifampicine, mais résistante à la lincomycine. Aucune résistance de haut niveau à la gentamicine n’a été détectée par un test de dépistage sur des plaques de gélose contenant 500 μg de gentamicine par ml. L’analyse bactériologique des valves retirées chirurgicalement, obtenue 18 h après le début du traitement à la vancomycine, a donné lieu à la croissance d’une souche d’entérocoque. Les isolats de l’hémoculture et des valves ont été identifiés comme étant Enterococcus gallinarum par des méthodes physiologiques et moléculaires (12) et présentaient des profils de sensibilité aux antibiotiques identiques. Les souches ont poussé sur une plaque de gélose à la vancomycine 6-μg/ml, sur une gélose à l’esculine biliaire, étaient non hémolytiques sur une gélose au sang de mouton, et étaient positives pour l’antigène du groupe D de Streptococcus par agglutination au latex (kit Slidex Strepto ; bioMérieux, Marcy l’Étoile, France). Elles ont été identifiées comme E. gallinarum par le système API Rapid ID 32 Strep (code 72375513371) (bioMérieux, La-Balme-les-Grottes, France).
De manière cohérente, les souches étaient mobiles lors du test de motilité à 30° (milieu de test de motilité au mannitol) et ne produisaient pas de pigment sur la gélose au sang. Cette identification a été confirmée par deux méthodes moléculaires : une PCR multiplex ciblée sur des séquences spécifiques dans les gènes de la glycopeptide resistance ligase vanA, vanB, vanC-1 et vanC-2 (3) et une analyse par endonucléase de restriction d’un fragment du gène sodA (sodAint) (20). Le gène vanC-1, qui n’est présent que dans l’espèce motile E. gallinarum, qui est intrinsèquement résistante à de faibles niveaux de vancomycine, a été amplifié. Le polymorphisme de longueur de fragment de restriction de sodAint digéré avec AluI, HaeIII ou HinfI a fourni un modèle spécifique (données non présentées). Par la méthode du test E, les CMI des isolats d’E. gallinarum étaient les suivantes : amoxicilline, 0,5 μg/ml (sensible) ; vancomycine, 6 μg/ml (intermédiaire) ; et teicoplanine, 0,125 μg/ml (sensible).
Les entérocoques, le plus souvent E. faecalis, causent 5 à 20 % des cas d’endocardite infectieuse (17). L’endocardite à entérocoques est généralement une maladie subaiguë des hommes âgés, la source d’infection la plus fréquente étant le tractus gastro-intestinal ou génito-urinaire. Une revue récente de la littérature révèle que les bactériémies dues à des entérocoques mobiles constituaient moins de 5 % de tous les cas de bactériémies entérococciques (19, 21-23, 29).
Selon une recherche sur MEDLINE, il s’agit du deuxième rapport d’endocardite due à E. gallinarum (ou Streptococcus gallinarum, comme précédemment nommé). Reid et al. ont décrit un cas chez un homme de 66 ans avec une valve aortique bicuspide qui avait subi une chirurgie urologique 2 ans auparavant (22). Dans notre cas, les antécédents médicaux du patient ainsi que l’examen pathologique des valves retirées chirurgicalement n’ont révélé aucune maladie valvulaire préexistante.
Les entérocoques motiles, y compris E. gallinarum et Enterococcus casseliflavus, sont rarement rencontrés dans les spécimens cliniques humains et se trouvent principalement dans le tractus gastro-intestinal de la volaille, dans les aliments et chez les volailles domestiques (1, 28). Elles ont rarement été associées à des maladies, mais ont été impliquées dans une grande variété d’infections invasives chez l’homme, en particulier chez les patients immunodéprimés ou atteints de maladies chroniques, et sont parfois acquises par voie nosocomiale (5, 6, 16, 19, 22, 23, 29). La majorité des cas de bactériémies dues à ces organismes concernaient des patients présentant des pathologies sous-jacentes, telles que l’insuffisance rénale, le cancer d’un organe solide ou une tumeur maligne hématologique, la réception d’une greffe d’organe solide ou de moelle osseuse, le déficit en antithrombine III, l’astrocytome, l’ostéomyélite chronique, le diabète sucré, la cholédocholithiase et la maladie de Caroli (10, 11, 13, 17, 19, 21, 22, 29, 30, 33).
Notre patient n’était pas immunodéprimé et n’a pas reçu de chimiothérapie antimitotique. Une érythrocytose bénigne sans polyglobulie vraie était la seule maladie sous-jacente que nous avons pu trouver.
La faible prévalence des endocardites à entérocoques motiles peut être due aux difficultés d’identification de ces espèces (9). Les tests de motilité sont nécessaires pour les distinguer d’Enterococcus faecium en raison de la similitude des caractéristiques phénotypiques. E. gallinarum peut généralement être distingué d’E. casseliflavus par son absence de pigmentation (5). Cependant, certains auteurs ont signalé des isolats d’E. gallinarum et d’E. casseliflavus non mobiles, ainsi que d’E. casseliflavus non pigmentés (31). Ces divergences rendent les méthodes moléculaires utiles pour confirmer l’identification définitive (3).
Plusieurs études ont rapporté une colonisation intestinale par E. gallinarum et E. casseliflavus chez des individus hospitalisés et des individus sains non hospitalisés. Aucun facteur de risque défini de colonisation ou d’infection n’a été identifié (1, 7, 8, 26, 29). Les entérocoques mobiles font partie de la flore fécale normale de la population générale. En raison de la résistance intrinsèque de faible niveau aux céphalosporines et à la vancomycine, le traitement avec ces agents antimicrobiens peut jouer un rôle dans l’augmentation de la colonisation avec ces organismes (2, 4, 18). Notre patient n’avait pas reçu de tels antibiotiques dans les mois précédant son admission.
La plupart des patients atteints d’une maladie liée aux entérocoques ont une source gastro-intestinale présumée de la bactérie. Notre patient n’avait pas de source gastro-intestinale évidente d’infection. La chaîne alimentaire peut jouer un rôle en tant que source d’infections (1). Nous soulignons que le patient travaillait comme vétérinaire.
E. gallinarum a la capacité d’exprimer une résistance à la vancomycine de faible niveau, avec des CMI de vancomycine allant de 2 à 32 μg/ml, et les souches peuvent être classées comme intermédiaires ou sensibles à cet antibiotique (2, 3, 25, 31). Cette caractéristique est conférée par le gène chromosomique vanC1 (14, 15, 24, 29, 32). Les profils de sensibilité aux antibiotiques indiquent que la plupart des isolats sont sensibles à l’ampicilline (6). Notre cas illustre l’importance d’une identification soigneuse des espèces d’Enterococcus en raison de son impact sur le choix du régime antibiotique. Notre patient recevait un traitement à la vancomycine depuis 18 heures lorsque la chirurgie a été pratiquée. La durée limitée de la thérapie à la vancomycine avant la chirurgie ne nous a pas permis d’évaluer son impact réel sur la persistance des bactéries dans le tissu valvulaire. Nous pouvons rétrospectivement supposer qu’un tel traitement antibiotique aurait pu avoir des conséquences délétères.
En conclusion, bien qu’ils ne soient pas fréquemment retrouvés dans les spécimens cliniques, les entérocoques mobiles peuvent provoquer de graves infections invasives. Ce cas démontre le rôle d’E. gallinarum comme cause d’endocardite à valve native. Ceci est d’une importance clinique majeure, en raison du profil de sensibilité particulier de cette espèce parmi les espèces du genre Enterococcus.