BEAUHARNAIS, Hortense de

La naissance prématurée d’Hortense, le 10 avril 1783, est le prétexte à la séparation de ses parents, Alexandre et Rose de Beauharnais. Alexandre a même d’abord nié être le père d’Hortense (bien qu’il l’ait ensuite reconnue comme telle), et Hortense a été emmenée par sa mère aux Antilles en 1788-1790. Bien qu’une telle expérience lui ait certainement laissé un sentiment de méfiance et de crainte à l’égard du mariage, et qu’elle en soit venue à reconnaître la séparation comme un état acceptable pour une relation, il ne faut cependant pas exagérer l’effet de cette première expérience. Les événements ultérieurs – l’ascension et la chute d’un père célèbre, la réconciliation de ses parents, la dernière vision de son père à travers une fenêtre, et sa mort tragique sur la guillotine (15 juillet 1794) – l’ont aidée à oublier les complications initiales de ses parents. Hortense et Eugène (son frère) étaient étroitement liés par le souvenir de leur père et dans l’affection de leur mère, qu’ils ont toujours essayé de protéger et à laquelle Hortense a toujours cédé.

Puisque Rose (« Joséphine ») concentrait toute son énergie à trouver des amis et des protecteurs, elle avait peu de temps pour ses enfants. Durant l’été 1795, Hortense est envoyée à l’Institution Nationale de Saint-Germain (une école de filles) fondée et dirigée par Madame Campan, ex-première dame d’honneur de Marie-Antoinette. Hortense y trouve un climat de confiance qui lui permet de s’épanouir. « C’est la plus délicieuse des filles de douze ans que j’aie jamais eu à enseigner », remarque Madame Campan et la baronne Lambert note qu' »elle irait vers celui qui l’aime le plus… ». Et Hortense ne devait pas seulement garder de très bons souvenirs de ce pensionnat, mais aussi se créer un réseau de relations étroites avec des personnes comme Madame Campan (presque comme une mère confesseur), et des amies comme Adèle Auguié, future Madame de Broc, sa confidente. Si elle n’est pas la plus intelligente des élèves, elle apprend les manières d’une jeune aristocrate dans cette ambiance d’ancien régime, et l’habileté à survivre dans une société turbulente, avec des montées et des descentes soudaines : elle va surtout exceller en musique et dans les beaux-arts, devenant plus tard une dillante avertie.

Le mariage de Joséphine avec Napoléon Bonaparte, le 9 mars 1796, et l’ascension du général vont radicalement changer la vie de la jeune élève, la faisant entrer dans la vie complexe et dangereuse de l’ambition politique. Au début, Hortense et Eugène sont très réservés à l’égard du nouveau mari de leur mère, mais leur méfiance se transforme vite en admiration et le général va se montrer très affectueux à leur égard : « il recevait avec toute l’affection d’un père » dit Hortense dans ses Mémoires.

Elle avait peut-être un faible pour Charles de Gontaut, et elle aimait certainement profondément Duroc (avec qui elle passa tout l’hiver 1800-1801, mais tout était trop tard. Son mariage devait désormais être une affaire politique. Napoléon aurait sans doute autorisé un mariage avec Duroc, mais Joséphine, sans enfant, ressent le besoin de renforcer sa position et ses liens avec la famille Bonaparte. Hortense cède à la pression de sa mère et ne fait pas preuve du même esprit que Caroline, par exemple. Suite aux intrigues de Joséphine (dixit Napoléon à Sainte-Hélène), son mariage avec Louis Bonaparte est célébré le 4 janvier 1802.

L’échec de leur mariage est bien connu, mais il ne faut pas s’empresser d’attribuer des responsabilités ; Louis Bonaparte est une personne difficile à comprendre. Il était peut-être malade, souffrant de crises d’épilepsie plusieurs fois par jour (que les visites dans les stations thermales ne pouvaient pas guérir), il était peut-être d’une jalousie morbide et maniaque, mais il était aussi un frère très doué, intelligent et sensible, sur lequel Napoléon avait veillé depuis ses premières années. De l’autre côté, les charmes d’Hortense ne peuvent excuser son apathie face à ses responsabilités conjugales, et ne fait aucun effort pour rassurer un mari plus timide et désemparé qu’effrayé. Dans une lettre célèbre, datée du 2 mai 1807. Napoléon soulignait en vain les qualités de l’une et de l’autre : « Vous avez une excellente femme, et vous la rendez malheureuse », note-t-il à Louis. « Il a peut-être des idées insolites, mais Louis est un homme juste », rappelle-t-il à Hortense. Même si la séparation est inévitable, ils connaissent néanmoins de véritables périodes de communauté d’esprit. Bien que leur relation ait connu des hauts et des bas, Louis a certainement aimé et désiré Hortense. Les naissances de Napoléon-Charles, le 10 octobre 1802, de Napoléon-Louis, le 20 octobre 1804, et surtout la naissance (injustement) contestée de Louis-Napoléon en avril 1808, après le choc de la mort du premier fils, le séjour commun à Cauterets et enfin la rencontre à Toulouse, sont autant de témoignages de leur vie conjugale.

Là encore, des raisons politiques ont affecté les relations d’Hortense. La volonté de Napoléon d’adopter Napoléon-Charles, est perçue par Louis et son frère comme une volonté de les écarter de la succession impériale. Le fils est la propriété du clan Beauharnais et doit être récupéré. D’autre part, Hortense veille à ce que sa propre vie soit tranquille et refuse de participer aux fonctions royales de son mari, le suivant avec beaucoup de réticence en Hollande, n’y vivant que brièvement et ne montrant ni capacité ni désir de l’aider dans ses tâches.

Cette séparation tacite convient à Hortense, et elle refuse donc le divorce, se souciant peu de ses propres titres et de sa position à la cour, mais se préoccupant de l’avenir de ses enfants. En décembre 1809, après une conférence de famille, l’Empereur refuse d’accorder à Louis le divorce qu’il souhaite, Hortense garde la garde des enfants et reçoit une allocation pour assurer son indépendance. Quant à l’Empereur, l’affirmation de sa sympathie pour Hortense et les récompenses qu’il leur adresse pour leur noble attitude lors de son divorce avec leur mère est le meilleur moyen de concilier l’affection filiale avec la raison d’État.

Dès lors, Hortense vit de plus en plus pour elle seule. Il est vrai qu’elle représenta Caroline au baptême du Roi de Rome et triompha de Caroline à la cour en février 1812, mais ce furent des années qu’elle consacra largement à Charles de Flahaut. « Personne n’a jamais été plus proche que lui de l’idée que l’on se fait généralement du héros de roman ou du noble chevalier », aurait remarqué la comtesse Potocka. Bien que Caroline ait tenté de nuire à la relation, celle-ci passe néanmoins de courtoise à passionnée lorsque le couple se sépare. Hortense est cependant contrainte de garder le secret absolu sur la naissance du fils de Flahaut, au moins pour éviter le coût juridique du scandale. Avouant tout à Eugène et faisant confiance à la loyauté de sa maison, elle se rend en Suisse où elle donne naissance, en septembre 1811, au futur duc de Morny. Le succès de l’expédition révèle combien Hortense a su faire confiance à son entourage.

Cependant, la réaction d’Hortense à la chute de l’empire et à la première restauration a souvent été critiquée. Dans ce contexte, il ne faut cependant pas oublier que le jour clé du 29 mars 1814, sa réaction de désapprobation des décisions du conseil de régence et son conseil à Marie-Louise de rester à Paris étaient judicieux : « Elle s’est montrée bonne perdante », pensait Talleyrand. Et lorsque Louis exige en vain qu’elle le rejoigne à Paris et qu’elle préfère aller en Navarre rejoindre sa mère, c’est Louis qu’elle fuit, pas son devoir, et c’est son indépendance qu’elle protège. Même ses actions pendant les Cent-Jours et ses relations étroites avec Alexandre (qui ont entraîné la création du duché de Saint-Leu) ne doivent pas être considérées comme une « trahison ». Après la mort de Joséphine, Hortense est seule à défendre ses enfants, enfants dont Louis n’hésite pas à demander la garde à la cour royale. La méfiance que la police royale manifeste à l’égard du salon d’Hortense est une preuve éloquente du fait qu’Hortense reste en France un point de ralliement pour l’ancien régime. A son retour de l’île d’Elbe, Napoléon la reçoit froidement, mais finit par la gracier : comme sa mère l’avait fait au retour d’Égypte, Hortense a su mettre ses enfants en avant.

« Quand on participe à l’essor d’une famille, on doit aussi partager ses malheurs », lui rappelle l’Empereur. Hortense apprend à vivre avec ces malheurs. Elle suit Napoléon à Malmaison, où du 25 au 29 juin 1815, l’empereur déchu passe quelques jours avec ses souvenirs. Au départ de Napoléon, on ne fait pas confiance à Hortense. Alexandre se tient à l’écart et a du mal à pardonner le comportement « irrationnel » de la princesse. L’exil est inévitable. Après avoir passé quatre mois à Aix, Hortense mène une « vie errante et persécutée ». Dans un premier temps, la Diète suisse lui refuse l’asile, malgré les décisions des alliés. Hortense vit alors dans le Grand-Duché de Bade, à Constanz, ville dont le gouvernement français souhaite l’expulser. Grâce à Alexandre et surtout à Metternich, Hortense est autorisée à partager son temps entre Augsbourg et la Suisse. Dans ce dernier pays, en janvier 1817, elle achète la petite maison de campagne d’Arenenberg, dans le canton de Thurgovie, au bord du lac de Constance, et c’est à cette résidence que son nom et sa légende seront définitivement attachés.

La reine prend alors deux décisions ; elle rompt avec Flahaut (il voulait l’épouser) – ou plutôt elle lui rend sa liberté. Hortense désirait rester fidèle au nom qu’elle portait et assumer pleinement le manteau de son infortune. En revanche, elle refuse de laisser à Louis la liberté de divorcer ; Louis ira même jusqu’à demander au pape l’annulation de son mariage, ce qu’il refusera bien sûr en 1819. D’autre part, elle est obligée de partager avec son mari l’éducation de leurs fils ; les deux fils viennent régulièrement à Rome, la capitale des Bonaparte en exil. Arenenberg devient le centre d’une petite cour, une nouvelle Malmaison où, accompagnée de fidèles serviteurs comme Valérie Masuyer, Élisa de Courtin et le peintre Félix Cottereaux, Hortense chante, peint et charme ses hôtes, de Madame Récamier à Dumas.

Ses principales préoccupations sont désormais celles de ses fils. Elle confie Louis-Napoléon (que son père lui avait volontiers confié) au précepteur Le Bas, fils de l’ex-membre de la Convention. En 1825, conformément au désir exprimé par l’Empereur de voir ses neveux et nièces se marier entre eux, Napoléon-Louis épouse Charlotte, fille de Joseph. Il n’y aura cependant pas d’enfants. Hortense est confrontée à la question de savoir si elle doit encourager les ambitions politiques de ses fils, tous deux fervents partisans des mouvements révolutionnaires italiens. Elle écrira la note suivante, remarquablement clairvoyante, à ses fils : « Il y a certains noms magiques qui peuvent avoir une grande influence sur les événements… ils ne peuvent apparaître dans les révolutions que pour rétablir l’ordre… leur rôle est d’attendre avec patience… s’ils sèment le trouble, ils subiront le sort d’un aventurier ». La crise éclate avec le soulèvement de la Romagne de 1831. Elle veut sauver la vie de ses fils, mais Napoléon-Louis meurt de la rougeole à Forli. Mais Hortense a encore assez de courage et d’initiative pour fuir avec Louis-Napoléon en France. Après une rencontre avec Louis-Philippe, ils se réfugient en Angleterre.

Par la suite, son dernier fils s’éloigne et commence à vivre son propre destin. Hortense pensait qu’il devait se marier et prévoyait une union avec la fille du duc de Padoue. Une autre tentative de mariage – avec Mathilde, fille de Jérôme – échoua après le coup d’État de Strasbourg en octobre 1836. Hortense tombe ensuite malade alors que Louis-Napoléon se trouve aux Etats-Unis. Il revient à Arenenberg juste à temps pour que sa mère meure dans ses bras le 5 octobre 1837.

Auteur : Fernand Beaucour (tr. PH, octobre 2007)
Revue : Revue du Souvenir Napoléonien, vol. 258, N° 4, (1971), pp. 43-44

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