OTTAWA – Faisons un voyage dans ce qu’Alexandre Trudeau appelle le « Canada profond ».
C’est l’hiver dans les bois primordiaux. La nuit est froide et dépourvue de clair de lune. Et à l’intérieur du cocon chaud de leur wigwam, une femme ojibwée fait bouillir du cuir pour nourrir son enfant affamé.
Mais la faim n’est pas le seul danger qui guette leur vie. Quelque chose est là dans la forêt, quelque chose de sinistre et de surnaturel, mais douloureusement familier.
C’est la prémisse du dernier film de Trudeau, Wiisgaapte, un court métrage diffusé sur CBC à 0h30 vendredi, et sur le service de streaming Gem dès 23h jeudi.
L’histoire est racontée entièrement en ojibwé, et est basée sur la légende du Windigo qui revient dans les cultures ojibwé, algonquine et autres cultures autochtones. Dans la version de Trudeau, le Windigo prend la forme d’un être cher qui s’est transformé en un monstre prédateur. Quelqu’un qui était autrefois un partenaire et un protecteur est maintenant une menace directe et terrible.
Le résultat est un court métrage qui ressemble à un condensé de film d’horreur, tourné dans l’arrière-pays laurentien au nord de Montréal. C’est la première œuvre de fiction de Trudeau après une série de projets documentaires.
Trudeau a parlé au Star cette semaine de Wiisgaapte, de la signification de la légende Windigo, et de ses réflexions sur la réconciliation, l’identité et l’importance des histoires.
Il a souligné que, bien qu’il reçoive beaucoup d’attention en tant que fils de Pierre Trudeau et frère de l’actuel premier ministre, son dernier film n’aurait pas vu le jour sans Shirley Williams, une aînée de l’Université Trent qui a traduit son scénario en ojibwé et coaché les acteurs sur la prononciation. Il a également applaudi l’actrice principale Cara Gee, la productrice Isabella Salas et le directeur de la photographie et coréalisateur Mark Ó Fearghaíl.
Il recommande de regarder Wiisgaapte dans le noir.
D’où est venu ce projet ?
J’ai toujours connu le Windigo. C’est juste un de ces faits intéressants du début de la vie canadienne. J’étais vraiment intéressé par le fait que la légende ait des manifestations. Bien que le canon des légendes du Windigo provienne certainement du peuple Ojibwe, il y a des versions – et des versions très différentes, en fait – de tout le pays, y compris les peuples Athabaskan du Nord-Ouest. Donc cela m’a en quelque sorte frappé, et soulève l’hypothèse que cela est vraiment profondément lié à la terre, à la nature de la vie dans les forêts boréales et le nord du Canada, et à la nature de l’hiver également.
Quelle sorte de résonance cela a-t-il pour le Canada maintenant ? Y a-t-il une leçon dans l’histoire de Windigo ?
Ce qui est intéressant pour moi, c’est que nous sommes dans une société très confortable. Nous prenons pour acquis l’approvisionnement en nourriture, par exemple. Et la vérité, c’est que tout cela est précaire. En regardant en arrière, nous réalisons ce qu’était la vie autrefois. Je pense que c’est une bonne leçon. Je pense que les Canadiens sont déconnectés de leur passé. Et je pense que le passé indigène est pertinent pour tous les Canadiens, car il est si profondément lié au territoire, à la terre et à la forêt. J’ai grandi en passant beaucoup de temps dans la forêt en hiver. Mon père était un raquetteur passionné, il appréciait beaucoup le piégeage et la raquette et essayait de comprendre comment la terre peut faire vivre les gens. Ce sont des choses qui sont si abstraites pour nous aujourd’hui. Et je pense qu’elles ne sont pas seulement intéressantes, mais elles sont en quelque sorte importantes pour être responsable sur le plan environnemental… Regarder à quel point nous étions profondément connectés à l’environnement, et tout ce que cela impliquait, les risques et tout le reste, est en quelque sorte une réflexion importante, je pense, pour les Canadiens modernes.
Il y a eu tellement de discussions ces dernières années sur l’appropriation culturelle. Est-ce que cela a été une considération pour raconter cette histoire ? Comment avez-vous navigué sur ce sujet ?
Je pense que je comprends le contexte de l’appropriation culturelle. C’est vraiment une cartographie sur ce qui était une réelle appropriation et de réels efforts d’assimilation. Enlever le territoire, enlever la capacité de vivre de manière traditionnelle, et tout le reste, ce qui fait partie du cataclysme qui a frappé les peuples indigènes canadiens et nord-américains après l’arrivée des colons européens. Et je crois savoir que l’histoire du cinéma du 20e siècle sur les autochtones canadiens ou nord-américains les a souvent dépeints sous un jour très colonial. Ils étaient les étrangers, les ennemis. Ils étaient vus comme le prototype de « l’autre ».
Je pense que tous les auteurs de fiction, les acteurs et les cinéastes, l’une des choses qui nous motivent à créer est la capacité d’être ce que nous ne sommes pas…. En fin de compte, je comprends la sensibilité, qui est historique, à ce que les gens encadrent les Premières Nations d’une manière aliénante, et cela reste très délicat pour quiconque veut raconter ces histoires.
Mais nous avons besoin de raconter des histoires. Nous racontons les histoires des autres – c’est ainsi que nous apprenons à nous connaître. Je crois vraiment en cela.
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La plupart des gens ont très peu, voire aucune, conception de l’histoire du Canada avant l’arrivée des colons. A un moment où l’on pousse à la réconciliation, y a-t-il quelque chose comme une obligation politique pour que les gens apprennent à connaître ces types d’histoires, ces types de légendes ?
Je pense que la réconciliation est plus que la simple acceptation de ce qui a été mal fait dans le passé…. Ce n’est pas seulement regarder en arrière. C’est comprendre que, non seulement le Canada est un meilleur endroit, mais le Canada n’est tout simplement pas un endroit sans un rôle important pour ces histoires, pour nous tous – pour les Canadiens non autochtones – et comprendre les récits de ce territoire et voir comment ils font partie de nous. Étant ici, ces histoires comptent pour nous tous… Le Canada est une nation autochtone.
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